“Caravage” : un vibrant hommage à l’artiste avec Louis Garrel et Isabelle Huppert
À partir du 28 décembre, les cinéphiles et amateurs de l’école caravagesque pourront découvrir le dernier film de Michele Placido (Romanzo criminale, Le Guetteur…) dans les salles obscures. Bien plus qu’une simple reconstitution historique, Caravage assume des ambitions supérieures et s’en donne les moyens.
Caravage, comme son nom l’indique, retrace une période de la vie du célèbre peintre italien, incarné ici par l’acteur Riccardo Scamarcio (Tre piani, Nos meilleures années…). Ce dernier est en très belle compagnie puisque l’on retrouve à ses côtés l’incontournable Isabelle Huppert (La Cérémonie, La Pianiste…), l’infaillible Louis Garrel (L’Innocent, Les Amandiers…), ou encore la prometteuse Lolita Chammah (Copacabana, At Eternity’s Gate…).
La narration démarre en 1609, lorsque Michelangelo Merisi da Caravaggio fuit Rome pour Naples car il est accusé de meurtre. Dans la cité parthénopéenne, il est accueilli et protégé par la famille Colonna. L’histoire est parsemée de retours en arrière qui donnent une belle vision d’ensemble des idées du Caravage mais aussi de son génie, que l’on voit souvent à l’exercice, dans une société où même ses pires ennemis sont incapables de remettre en question son talent. Ce sont d’ailleurs ces “pires ennemis” qui constituent la force antagoniste du film et que ce dernier met en avant à travers le personnage – fictif – de L’Ombre, interprété par Louis Garrel. Ce personnage est un inquisiteur mandaté par le pape pour rassembler des preuves du caractère subversif et immoral de l’œuvre du peintre. Il est en cela l’incarnation d’une certaine acception de l’obscurantisme religieux encore en vigueur au XVIIe siècle. À ce courant s’opposent naturellement les valeurs du Caravage, dont Placido nous rappelle la proximité avec “l’aile paupériste de l’Église qui prône un retour aux valeurs évangéliques”.
Il y a longtemps que Michele Placido s’est fait sa place dans le milieu du cinéma italien. D’abord en tant qu’acteur ; il a joué dans des films de Monicelli, Comencini, Bellocchio et d’autres grands noms du cinéma italien à partir des années 70. Puis, il s’est bâti une solide carrière de réalisateur avec 13 longs métrages et plus particulièrement depuis la sortie en 2006 de Romanzo criminale, drame policier sur le crime organisé à Rome, qui reste jusqu’à aujourd’hui son plus grand succès. C’est en se remémorant la longévité de Placido qu’on prend la mesure de ce Caravage, car si le film voit le jour en 2022, son auteur affirme qu’il pensait à ce projet depuis 1968, alors qu’il était encore étudiant à Rome.
“Je cherche le réel”. Voici des mots prononcés publiquement par le peintre lors d’un procès. Ces mêmes mots auraient très bien pu être ceux de Michele Placido en 2022. Dans Caravage, nous sommes loin d’une reconstitution léchée à la Visconti. Les ruelles sont boueuses, les cités napolitaine et romaine nous sont présentées sous un angle cru et l’on passe sans transition d’un haut lieu du Vatican au plus malfamé des bordels de la capitale. Le Caravage produit du beau en s’inspirant d’une réalité qui est sale. En cela, Placido conçoit une œuvre en accord avec celles du peintre (toute proportion gardée), ce même peintre qui utilisait presque systématiquement une prostituée comme modèle pour représenter la Vierge Marie.
La force du personnage du Caravage réside en grande partie dans son énergie encore très actuelle et non ancrée dans cette Renaissance italienne. On associe aisément son image, en tant qu’homme mais aussi en tant qu’artiste, à celle de personnalités contemporaines. C’est d’ailleurs une volonté transparente du réalisateur, qui affirme que son film “imagine le célèbre peintre comme un artiste pop, menant la vie tourbillonnante qu’il mènerait aujourd’hui à New York ou à Londres”.
En somme, Placido nous propose une œuvre réussie, montrant un personnage qui va au-delà des frontières du temps. Caravage n’est pas un grand film mais c’est un bon film, qui a l’intelligence de ne pas se cantonner à un exercice de reconstitution et qui assume ses ambitions. Ce n’est pas qu’un film pour cours d’histoire ou d’arts plastiques mais le sincère hommage d’un artiste évoquant une figure iconique. Selon les mots du journaliste cinéma italien Francesco Gatti, “une chose qui est frappante dans la communication faite sur le film, c’est d’associer Le Caravage à tant de personnages différents : Le Caravage c’est un peu Elvis Presley dit l’acteur qui l’incarne, c’est aussi Maradona, Pasolini, aujourd’hui il serait reporter de guerre, c’est une popstar !”
Le 28 décembre 2022, tout porte à croire que de nombreux autres noms seront cités en comparaison à ce Caravage, véritable incarnation au XVIIe siècle d’une certaine conception de l’artiste moderne.
Boris Benateau
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